Chapitre 17
LE SEIGNEUR DE GUERRE
La cellule puait la paille humide.
Pug s’étira et découvrit qu’il avait les mains retenues par des chaînes en cuir de needra fermement ancrées dans le mur. La peau de ce bœuf tsurani, une solide créature à six pattes, pouvait être traitée pour devenir presque aussi solide que l’acier. Pug avait encore mal au crâne, suite aux effets de l’étrange objet qui avait contré sa magie. Mais une autre déconvenue l’attendait. Il lutta contre sa faiblesse et regarda ses menottes. Il commença à formuler un sortilège pour changer ses chaînes en gaz dépourvu de substance mais brusquement, une erreur se produisit. Il n’aurait pu définir cette sensation autrement que par le terme d’erreur. Son sortilège ne fonctionnait pas. Pug s’appuya contre le mur, comprenant que la cellule avait dû être protégée par un sortilège capable de neutraliser la magie. Évidemment, se dit-il. Comment garder un magicien en prison, autrement ?
Pug regarda la pièce. Il s’agissait d’un puits, où parvenait un tout petit peu de lumière depuis une minuscule ouverture barrée, pratiquée dans le haut de la porte. Une petite créature fouillait la paille d’un air affairé près des pieds de Pug. Il lui envoya un coup de pied et elle fila. Les murs étaient humides et il se dit que ses compagnons et lui devaient se trouver sous terre. Il n’avait aucun moyen de savoir depuis combien de temps ils étaient là et n’avait aucune idée de l’endroit où on les avait emmenés : ils pouvaient se trouver n’importe où sur Kelewan.
Meecham et Dominic étaient enchaînés au mur d’en face tandis qu’Hochopepa se trouvait sur sa droite. Pug se dit alors que l’empire devait être au bord du gouffre pour que le seigneur de guerre prenne le risque de blesser Hocho. Capturer un renégat réprouvé était une chose, mais incarcérer un Très-Puissant de l’empire en était une autre. De droit, un Très-Puissant n’avait pas à se plier aux décisions du seigneur de guerre. À l’exception de l’empereur, seule une Robe Noire pouvait s’opposer aux décisions d’un seigneur de guerre. Kamatsu avait raison. Le seigneur de guerre s’apprêtait à porter un coup capital dans le jeu du Conseil, car s’il se permettait d’emprisonner Hochopepa, c’était que les conséquences de cet acte ne lui faisaient pas peur.
Meecham grogna et leva lentement les yeux.
— Ma tête, marmonna-t-il. (Découvrant ses chaînes, il tira dessus pour voir.) Bon ! fit-il en fixant Pug. Et maintenant ?
Pug le regarda et secoua la tête.
— On attend.
L’attente dura un long moment, peut-être trois ou quatre heures. Puis quelqu’un apparut soudain. Brusquement, la porte s’ouvrit et un magicien en robe noire entra, suivi d’un garde blanc impérial.
— Ergoran ! cracha Hochopepa. Êtes-vous devenu fou ? Libérez-moi immédiatement !
Le magicien fit signe au soldat de libérer Pug.
— Je fais cela pour l’empire, expliqua-t-il à Hochopepa. Vous avez fait alliance avec l’ennemi, gros homme. Je parlerai à l’Assemblée de votre duplicité quand nous en aurons fini avec la punition réservée à ce faux magicien.
Pug fut rapidement sorti de la cellule et le magicien nommé Ergoran dit :
— Milamber, votre spectacle lors des jeux Impériaux il y a un an vous aura valu un certain respect – assez pour que nous nous assurions que vous ne puissiez plus provoquer un tel chaos autour de vous. (Deux soldats posèrent de rares et coûteux bracelets de métal à ses poignets.) Les protections de cette prison empêchent tout sortilège d’y opérer. Quand vous serez à l’extérieur de la prison, ces bracelets bloqueront vos pouvoirs.
Il fit signe aux gardes d’emmener Pug et l’un d’eux le poussa dans le dos.
Le magicien savait qu’il était inutile de discuter avec Ergoran. De tous les mages que l’on surnommait les « toutous du seigneur de guerre », c’était le plus fanatique. Il s’agissait de l’un des rares magiciens qui pensaient que l’Assemblée devait servir de bras au Grand Conseil. Certains qui le connaissaient bien pensaient que le but ultime d’Ergoran était de voir l’Assemblée remplacer le Grand Conseil. La rumeur disait que si Almecho le Violent avait régné en apparence, Ergoran avait souvent dicté officieusement la politique du Parti de la guerre.
Au bout d’une longue volée de marches, Pug déboucha au soleil. Après la pénombre de sa cellule, la lumière l’aveugla un moment. Ses yeux s’habituèrent rapidement, tandis qu’on le poussait pour traverser la cour d’un grand bâtiment. En remontant un large escalier, Pug regarda par-dessus son épaule. Il vit le fleuve Gagajin, qui coulait depuis la Grande Muraille jusqu’à la ville de Jamar. C’était la route nord-sud la plus importante pour les provinces centrales de l’empire. Pug se trouvait au sein même de la Cité sainte, Kentosani, la capitale de l’empire de Tsuranuanni. Et au vu des dizaines de gardes en armure blanche, il sut qu’il devait se trouver dans le palais du seigneur de guerre.
On continua à pousser Pug le long d’un grand couloir, jusqu’à ce qu’il arrive finalement dans une salle centrale. Les murs de pierre s’arrêtaient là. On fit coulisser un solide panneau de bois et de cuir peint. Le seigneur de guerre de l’empire avait choisi d’interroger son prisonnier dans une salle de conseil privée.
Un autre magicien se tenait près du centre de la salle, attendant le bon plaisir d’un homme assis, qui lisait un parchemin. Le second magicien s’appelait Elgahar, mais Pug ne le connaissait pas très bien. Il réalisa qu’il n’avait aucune aide à attendre de qui que ce soit en ces lieux, même pour Hochopepa, car Elgahar était le frère d’Ergoran. La magie était puissante dans leur famille. Elgahar avait toujours semblé faire siennes les opinions de son frère.
L’homme d’âge moyen, assis sur une pile de coussins, portait une robe blanche ornée d’une bande d’or à l’encolure et aux manches. Se rappelant Almecho, le dernier seigneur de guerre, Pug ne pouvait imaginer de contraste plus fort. Cet homme-ci, Axantucar, était en apparence l’antithèse de son oncle. Almecho était un homme puissant, au cou de taureau, aux manières de guerrier. Cet homme-ci ressemblait plus à un savant, ou à un professeur. Son corps fin et tendu lui donnait un air ascétique. Ses traits étaient presque délicats. Il leva les yeux du parchemin qu’il était en train de lire, ce qui permit à Pug de voir la ressemblance qu’il y avait entre l’oncle et son neveu : on pouvait lire dans leur regard l’ivresse du pouvoir.
Le seigneur de guerre reposa lentement son parchemin.
— Milamber, votre retour est le signe d’un certain courage, mais vous avez été imprudent. Vous serez exécuté, bien entendu, mais avant que nous ne vous fassions pendre, nous aimerions savoir pourquoi vous êtes revenu ?
— Sur mon monde une puissance se lève, une présence ténébreuse et maléfique qui cherche à accomplir de noirs desseins. Ces derniers ne sont rien moins que la destruction de ma terre natale.
Le seigneur de guerre, visiblement intéressé, fit signe à Pug de poursuivre. Ce dernier expliqua ce qu’il savait, dans le détail et sans rien exagérer.
— Par des moyens magiques, j’ai pu déterminer que cette chose venait de Kelewan. D’une manière ou d’une autre, les destins de nos deux mondes sont de nouveau liés.
— Intéressante histoire, commenta le seigneur de guerre à la fin de son récit.
Ergoran fit un geste comme pour balayer ces absurdités, mais Elgahar semblait sincèrement troublé.
— Milamber, c’est réellement dommage que nous vous ayons perdu lors de la traîtrise, poursuivit le seigneur de guerre. Si vous étiez resté, nous aurions pu vous trouver un emploi de conteur. Une puissance des ténèbres, surgie de quelque tanière oubliée de notre empire. Quelle merveilleuse histoire. (Son sourire disparut et il se pencha en avant, posant le coude sur son genou, en fixant Pug dans les yeux.) Maintenant, voici la vérité. Ce vague cauchemar dont vous parlez n’est qu’une pauvre tentative de me faire peur pour me faire oublier la véritable raison de votre retour ici. Le Parti de la roue bleue et ses alliés sont au bord de la faillite devant le Grand Conseil. C’est pour cela que vous êtes revenu, parce que ceux qui vous considéraient comme un allié auparavant sont désespérés et qu’ils savent que la domination totale du Parti de la guerre est maintenant un fait. Vous et le gros magicien êtes de nouveau alliés avec ceux qui ont trahi l’Alliance pour la guerre lors de l’invasion de votre monde natal. Vous avez peur du nouvel ordre que nous représentons. Dans quelques jours, je vais annoncer la fin du Grand Conseil et vous êtes venu m’en empêcher, n’est-ce pas ? J’ignore ce que vous avez en tête, mais nous allons vous arracher la vérité. Sinon tout de suite, cela ne saurait tarder. Vous donnerez le nom de tous ceux qui se dressent contre nous.
« Et nous aurons les moyens de revenir en force. Dès que l’empire sera en paix sous mon égide, alors nous reviendrons dans votre monde et nous terminerons au plus vite ce qui aurait dû être fait sous les ordres de mon oncle.
Pug regarda le visage des gens présents et comprit. Il avait rencontré Rodric, le roi fou, et lui avait parlé. Le seigneur de guerre n’était pas aussi fou que l’avait été le malheureux, mais il ne faisait aucun doute qu’il n’était pas totalement sain d’esprit. En outre, derrière lui se tenait quelqu’un qui ne se dévoilait pas beaucoup, mais juste assez pour que Pug comprenne. Ergoran était celui qu’il fallait réellement craindre, c’était lui le véritable génie qui faisait la puissance du Parti de la guerre. Ce serait lui qui régnerait sur Tsuranuanni, peut-être même ouvertement un jour.
Un messager arriva et s’inclina devant le seigneur de guerre, lui tendant un parchemin. Le seigneur de guerre le lut rapidement, puis annonça :
— Je dois me rendre au conseil. Informez l’inquisiteur que j’aurai besoin de ses services à la quatrième heure de la nuit. Gardes, ramenez celui-ci en cellule. (Alors que les gardes tiraient sur les chaînes de Pug, le seigneur de guerre ajouta :) Pensez-y, Milamber. Vous pouvez mourir rapidement, mais vous pouvez aussi mourir lentement. Quoi qu’il arrive, vous mourrez. Vous avez le choix. D’une manière ou d’une autre, vous nous direz la vérité.
Pug regarda Dominic entrer en transe. Il avait parlé à ses compagnons de la réaction du seigneur de guerre ; après avoir laissé éclater sa colère, Hochopepa était retombé dans un mutisme maussade. Comme tous ceux qui portaient la robe noire, le gros magicien trouvait parfaitement inimaginable que l’on puisse ne pas obéir au moindre de ses désirs. Cet emprisonnement était pour lui presque incompréhensible. Meecham était tout aussi taciturne qu’à son habitude et le moine avait, lui aussi, paru parfaitement imperturbable. Leur discussion fut donc courte et résignée.
Dominic avait commencé ses exercices peu de temps après. Pug avait trouvé cela fascinant. Le moine, assis, avait commencé à méditer et entrait maintenant dans une sorte de transe. Dans le silence, Pug réfléchit à la leçon du moine. Même dans cette cellule, visiblement sans espoir, ils ne devaient pas se laisser aller à la peur et perdre leurs moyens. Pug réfléchit au passé, à l’époque de sa jeunesse à Crydee : les vaines leçons qu’il avait reçues de Kulgan et de Tully, alors qu’il cherchait à maîtriser une magie dont il avait découvert, des années plus tard, qu’elle n’était pas faite pour lui. Quelle honte, se dit-il à lui-même. Il avait pu constater en de nombreuses occasions au port des Étoiles que la magie mineure était bien plus avancée sur Midkemia que sur Kelewan. C’était très probablement dû au fait que cette magie était restée la seule sur Midkemia.
Pour se distraire, Pug tenta de refaire l’un des exercices que Kulgan lui avait appris tout jeune et qu’il n’avait jamais réussi à maîtriser. Il découvrit que la magie mineure ne semblait pas affectée par l’endroit et il commença à retrouver l’étrange blocage en lui. Il en ressentit presque de l’amusement. Petit, il avait toujours eu peur de cette expérience, car elle était pour lui un signe d’échec. Maintenant, il savait que c’était simplement son esprit, lié à la magie supérieure, qui refusait les voies de la magie mineure. Mais les effets du choc en retour le poussèrent à attaquer le problème par un autre biais. Il ferma les yeux et retenta l’expérience qu’il avait ratée en d’innombrables occasions. Sa structure mentale refusait de se plier aux nécessités d’une telle magie, mais alors qu’elle s’apprêtait à changer l’influx, elle lui donna l’impression de rebondir contre les protections et... Pug releva la tête, les yeux grands ouverts. Il avait presque réussi ! Durant un bref instant, il avait failli comprendre. Luttant contre son excitation, il ferma les yeux, baissa la tête et se concentra. Si seulement il pouvait retrouver cet instant, cet infime moment cristallin où il avait compris..., un instant qui lui avait aussitôt échappé... Dans cette cellule sordide et humide, il avait été au bord de ce qui risquait de s’avérer l’une des découvertes majeures de la magie tsurani. Si seulement il pouvait retrouver cet instant...
Les portes de la cellule s’ouvrirent. Pug leva les yeux, tout comme Hochopepa et Meecham. Dominic resta en transe. Elgahar entra et fit signe à un garde de refermer la porte derrière lui. Pug sortit de sa méditation sur sa paillasse, se mit debout et tenta de détendre ses jambes engourdies par les pierres glacées.
— Ce que vous dites est perturbant, déclara le mage en robe noire.
— C’est normal, car c’est la vérité.
— Peut-être, mais ce pourrait ne pas l’être, même si vous pensez que c’est vrai. Racontez-moi toute l’histoire.
Pug fit signe au magicien de s’asseoir, mais celui-ci secoua la tête. Pug haussa les épaules et se rassit par terre. Il commença son histoire. Quand il en arriva au moment de la vision de Rogen, Elgahar commença visiblement à s’agiter, interrompant Pug pour lui poser de multiples questions. Pug poursuivit et quand il eut fini, Elgahar secoua la tête.
— Dites-moi, Milamber, sur votre monde natal, y a-t-il beaucoup de gens capables de comprendre les mots qu’a entendus le devin dans sa vision ?
— Non. Seulement moi et une ou deux autres personnes en aurions été capables. Les Tsurani de LaMut auraient juste pu identifier cette langue comme l’ancienne langue religieuse.
— Tout cela me fait penser à une chose terrifiante. Il faut que je sache si cela vous a effleuré aussi.
— Quoi ?
Elgahar se pencha tout près de Pug et lui souffla un seul mot à l’oreille. Pug devint livide et ferma les yeux. Sur Midkemia, son esprit avait déjà commencé à travailler avec les renseignements qu’il avait eus sous la main. Inconsciemment, il avait toujours connu la réponse à sa question. Il poussa un long soupir.
— Oui. Chaque fois, j’ai refusé d’admettre cette possibilité, mais elle existe.
— De quoi parlez-vous ? demanda Hochopepa.
Pug secoua la tête.
— Non, mon vieil ami. Pas encore. Je veux qu’Elgahar réfléchisse aux implications de ses déductions sans prendre en compte mon opinion ou la tienne. Cela pourrait le pousser à revoir ses allégeances.
— Peut-être. Mais, même si c’était le cas, je n’interviendrais pas nécessairement en votre faveur.
Hochopepa explosa de rage.
— Comment pouvez-vous dire une telle chose ! Quelles circonstances importent face aux crimes du seigneur de guerre ? En êtes-vous donc arrivé au point où vous laissez votre frère décider de tout pour vous ?
— Hochopepa, vous parmi tous ceux qui portent la robe noire, êtes le mieux à même de comprendre, car c’est bien vous, avec Fumita, qui avez joué le grand jeu pendant des années avec le Parti de la roue bleue. (Il se référait à la part qu’avaient prise les deux magiciens dans la tentative d’aider l’empereur à mettre fin à la guerre de la Faille.) Pour la première fois de toute l’histoire de l’empire, l’empereur est dans une position unique. Avec la trahison des pourparlers de paix, il en est arrivé à disposer du pouvoir absolu, tout en perdant la face. Il ne peut user de son influence et il n’usera plus de son autorité. Cinq chefs de guerre de clan sont morts lors de la trahison, les cinq qui avaient les meilleures chances d’obtenir le poste de seigneur de guerre. De nombreuses familles ont perdu leur siège au sein du Grand Conseil à cause de ces morts. Si jamais l’empereur tentait de donner un ordre à ces clans, il serait réfuté.
— Vous parlez de régicide, dit Pug.
— La chose s’est déjà produite, Milamber. Mais maintenant il y aurait une guerre civile, car il n’y a pas d’héritier. La Lumière du Ciel est jeune et n’a pas encore de fils. Sa descendance ne comprend pour lors que trois filles. Le seigneur de guerre ne désire que la stabilité pour l’empire, il ne veut pas renverser une dynastie vieille de plus de deux mille ans. Je n’éprouve pour ce seigneur de guerre ni amour ni haine. Mais l’empereur doit comprendre que sa position dans l’ordre des choses n’est que spirituelle et qu’il doit déléguer toute son autorité au seigneur de guerre. Alors Tsuranuanni pourra entrer dans une ère de prospérité éternelle.
Hochopepa éclata d’un rire rauque et amer.
— Que vous puissiez croire à de telles balivernes ne montre qu’une chose : c’est que le système de sélection de l’Assemblée n’est pas assez rigoureux.
— Une fois que l’ordre régnera au sein de l’empire, nous pourrons lutter contre la menace que vous évoquez, poursuivit Elgahar sans relever l’insulte. Même si ce que vous dites est vrai et que mes soupçons s’avèrent fondés, il faudra des années avant que nous n’ayons à nous préoccuper de cela sur Kelewan – ce qui nous laisse bien assez de temps pour nous y préparer. Vous devez vous rappeler que les mages de l’Assemblée ont atteint des sommets de puissance dont nos ancêtres n’auraient jamais rêvé. Ce qui les avait terrifiés pourrait fort bien n’être pour nous qu’une simple nuisance.
— Votre arrogance vous aveugle, Elgahar. Tous. Hocho et moi avons déjà discuté de cela. Votre prétendue suprématie est une erreur. Vous n’avez pas surpassé la puissance de vos ancêtres : vous avez encore du chemin à faire avant de l’égaler. Parmi les livres de Macros le Noir, j’ai trouvé des ouvrages qui révèlent des pouvoirs dont l’Assemblée n’a pas même rêvé en mille ans.
Cette notion sembla intriguer quelque peu Elgahar, qui resta silencieux un long moment.
— Peut-être, admit-il finalement d’un ton pensif. (Il se dirigea vers la porte.) Vous avez accompli quelque chose, Milamber. Vous m’avez convaincu qu’il fallait absolument vous laisser en vie plus longtemps que ne le désire le seigneur de guerre. Vous avez des renseignements que nous allons devoir vous soutirer. Quant au reste, je dois... y réfléchir.
— Oui, Elgahar, réfléchissez-y. Réfléchissez à un nom : celui que vous avez prononcé au creux de mon oreille.
Elgahar sembla prêt à dire quelque chose, mais il se tourna vers le garde dehors et lui ordonna d’ouvrir la porte.
— Il est fou, décréta Hochopepa après son départ.
— Non. Pas fou. Il croit simplement ce que lui dit son frère. Toute personne capable de regarder Axantucar et Ergoran dans les yeux et de penser ensuite qu’ils peuvent apporter à l’empire une ère de prospérité est un imbécile, un idéaliste naïf, mais pas un fou. C’est Ergoran qui est le plus à craindre.
Ils retombèrent dans le silence et Pug repensa sombrement à ce qu’Elgahar lui avait susurré. Les implications de tout cela étaient trop terrifiantes pour s’y attarder. Il se remit donc à réfléchir à l’étrange instant où, pour la première fois de sa vie, il avait entraperçu comment maîtriser la magie mineure.
Le temps passa. Pug n’aurait su le déterminer exactement, mais il devait être quatre heures après le coucher du soleil, et c’était le moment qu’avait choisi le seigneur de guerre pour l’interroger. Des gardes entrèrent, enlevèrent leurs chaînes à Meecham, Dominic et Pug. Ils laissèrent Hochopepa seul dans la cellule.
On les amena dans une pièce équipée d’instruments de torture. Le seigneur de guerre, resplendissant dans ses robes vert et or, parlait avec le mage Ergoran. Un homme encapuchonné de rouge attendit sans un mot que les trois prisonniers soient attachés aux piliers de la pièce, placés de manière à ce qu’ils puissent se voir mutuellement.
— Contre mon avis, Ergoran et Elgahar m’ont convaincu qu’il pourrait être utile de vous laisser en vie. Ils avaient chacun leurs raisons. Elgahar semble enclin à croire une partie de votre histoire, assez en tout cas pour penser qu’il vaut mieux pour nous en apprendre le plus possible. Ergoran et moi-même ne sommes pas si bien disposés, mais il est d’autres choses que nous désirons savoir. Nous allons donc commencer par nous assurer que vous nous dites bien la vérité.
Il fit un signe à l’inquisiteur, qui déchira la robe de Dominic, le laissant avec son seul pagne. L’inquisiteur ouvrit un pot scellé et y plongea un bâton, qu’il ressortit couvert d’une sorte de substance blanchâtre. Il en badigeonna la poitrine de Dominic et le moine se raidit. Privés de métaux, les Tsurani avaient développé des techniques de torture différentes de celles de Midkemia, mais qui s’avéraient tout aussi efficaces. La substance était un acide collant qui commençait à brûler la peau dès qu’il était appliqué. Dominic ferma les yeux et se mordit les lèvres pour ne pas crier.
— Pour des raisons d’économie, nous pensions que vous seriez plus enclin à nous dire la vérité si nous nous occupions d’abord de vos compagnons. D’après ce que nous ont dit vos anciens compatriotes, et d’après cet inexcusable éclat lors des jeux Impériaux, il semble que vous soyez affligé d’une nature compatissante, Milamber. Allez-vous nous dire la vérité ?
— Tout ce que je vous ai dit est vrai, seigneur de guerre ! Torturer mes amis n’y changera rien !
Un cri s’éleva :
— Maître !
Le seigneur de guerre se tourna vers son inquisiteur.
— Quoi ?
— Cet homme..., regardez.
Dominic avait retrouvé ses couleurs. Il pendouillait au pilier, le visage empreint d’une paix béate.
Ergoran se plaça devant le moine et l’examina.
— Il est dans une sorte de transe ?
Le seigneur de guerre et le magicien regardèrent Pug.
— De quelle astuce ce faux prêtre se sert-il, Milamber ? demanda Ergoran.
— Il est vrai qu’il n’appartient pas à l’ordre de Hantukama, mais, sur mon monde, c’est bien un prêtre. Il sait mettre son esprit au repos quoi qu’il puisse arriver à son corps.
Le seigneur de guerre fit un signe à l’inquisiteur, qui prit un couteau bien aiguisé sur la table. Il se plaça face au moine et lui ouvrit l’épaule d’un coup sec. Dominic ne fit pas un mouvement, il ne tressaillit même pas. L’inquisiteur prit des tenailles et appliqua un charbon ardent sur la coupure. Le moine ne réagit toujours pas.
L’inquisiteur éloigna ses tenailles.
— C’est inutile, maître. Son esprit est bloqué loin d’ici. Nous avons déjà eu de tels problèmes avec des prêtres.
Pug fronça les sourcils. Bien que les temples ne fussent pas entièrement apolitiques, ils avaient tendance à se montrer très circonspects dans leurs relations avec le Grand Conseil. Si le seigneur de guerre avait interrogé des prêtres, cela montrait que les temples s’apprêtaient à se mobiliser en faveur d’une alliance contre le Parti de la guerre. Étant donné que Hochopepa n’était pas au courant de ces faits, cela voulait aussi dire que le seigneur de guerre agissait à couvert et qu’il avait l’initiative sur ses opposants. Bien plus que tout le reste, cela montrait à Pug combien l’empire était en danger et même combien il risquait de sombrer dans la guerre civile. L’assaut contre les partisans de l’empereur allait bientôt commencer.
— Celui-ci n’est pas prêtre, rappela Ergoran en s’approchant de Meecham. (Il regarda le grand chasseur.) Ce n’est qu’un esclave, il devrait poser moins de problèmes.
Meecham lui cracha en pleine figure. Ergoran, habitué à la terreur suscitée par les Robes Noires et au respect absolu dû à un Très-Puissant, reçut ce crachat comme un coup de gourdin. Il vacilla en arrière de quelques pas et essuya la salive qui lui coulait sur le visage.
— Esclave, tu viens de choisir une mort longue et douloureuse, annonça-t-il d’un ton froid.
Ce fut la première fois que Pug vit Meecham sourire. C’était un grand sourire, presque paillard. Avec sa cicatrice à la joue, cela lui donnait un air presque démoniaque.
— Ça en valait la peine, mulet sans couilles.
Sous le coup de la colère, Meecham avait parlé dans la langue du royaume, mais le magicien comprit au ton qu’on venait de l’insulter. Il tendit le bras, se saisit de la lame acérée posée sur la table de l’inquisiteur et fît une longue entaille à la poitrine de Meecham. Le chasseur se raidit, son visage devint livide tandis que la blessure commençait à saigner. Ergoran se dressa devant lui, l’air triomphant. Le Midkemian lui cracha dessus encore une fois.
L’inquisiteur se tourna vers le seigneur de guerre.
— Maître, le Très-Puissant interfère dans un travail très délicat.
Le magicien recula d’un pas, laissant tomber le couteau. Il s’essuya à nouveau le visage en retournant à côté du seigneur de guerre.
— Prenez votre temps pour avouer, Milamber, dit-il d’une voix pleine de haine. Je veux que cette charogne souffre le plus longtemps possible.
Pug lutta contre les propriétés inhibitrices de ses bracelets, mais sans succès. L’inquisiteur commença son travail sur Meecham, mais le chasseur, stoïque, refusa de crier. Une demi-heure durant, l’inquisiteur pratiqua son sanglant office, jusqu’à ce que Meecham émette un grognement étouffé et finisse par sombrer dans une semi-inconscience.
— Pourquoi être revenu, Milamber ? demanda le seigneur de guerre.
— Je vous ai dit la vérité, répondit Pug, qui avait ressenti les tortures de Meecham comme si on les lui avait infligées. Vous savez que c’est la vérité, ajouta-t-il en regardant Ergoran.
Mais son plaidoyer tombait dans l’oreille d’un sourd, car le magicien, furieux, voulait seulement voir Meecham souffrir, sans se préoccuper de ce que Pug pouvait avoir à dire.
Le seigneur de guerre fit signe à l’inquisiteur de commencer à s’occuper de Pug. L’homme à la cagoule rouge déchira la robe de Pug. Il ouvrit le pot d’acide et en appliqua une petite quantité sur sa poitrine. Les années d’esclavage et de travaux forcés dans les marais avaient fait de Pug un homme mince et musclé ; son corps se tendit dès que la douleur commença. À la première couche, il ne sentit d’abord rien, puis l’instant d’après, une brûlure affreuse lui rongea les chairs tandis que le produit commençait à agir. Pug entendait presque sa chair se racornir sur ses côtes. La voix du seigneur de guerre lui parvint par-delà sa douleur.
— Pourquoi êtes-vous revenu ? Qui avez-vous contacté ?
Pug ferma les yeux pour lutter contre le feu qui consumait sa poitrine. Il chercha refuge dans les exercices apaisants que Kulgan lui avait appris alors qu’il n’était qu’un apprenti. Une autre application fut comme un nouveau trait de feu, cette fois sur la chair délicate à l’intérieur de sa cuisse. L’esprit de Pug se rebella et chercha refuge dans la magie. Encore et encore il lutta pour briser la barrière que lui imposaient les bracelets enchantés. Dans sa jeunesse, il n’avait pu trouver sa voie vers la magie que dans des situations de grand stress. Quand des trolls avaient menacé sa vie, il avait lancé son premier sortilège. Quand il avait lutté contre l’écuyer Roland, il l’avait frappé par magie et quand il avait détruit les jeux Impériaux, il l’avait fait grâce à un profond puits de colère et de rage. Son esprit réagissait maintenant comme un animal enragé, rebondissant sur les barreaux d’une cage magique, aveuglément, frappant sans cesse cette barrière, déterminé à se libérer ou à mourir.
On plaça des charbons ardents sur sa chair et il hurla. C’était un cri animal, de rage et de douleur mêlées et son esprit frappa. Ses pensées se troublèrent, comme s’il se trouvait dans un paysage fait de surfaces réfléchissantes, une pièce faite de miroirs tournoyant follement qui lui renvoyaient tous une image différente. Il vit le garçon de cuisine de Crydee le regarder, puis l’élève de Kulgan. La troisième image était le jeune châtelain et la quatrième un esclave dans le camp des marais des Shinzawaï. Mais dans les reflets au-delà des reflets, les miroirs dans les miroirs, il voyait toujours de nouvelles choses. Derrière le garçon de cuisine se trouvait un homme, un serviteur, mais dont l’identité ne faisait aucun doute : Pug, sans magie, sans entraînement, devenu adulte, simple serviteur du château, qui travaillait aux cuisines. Derrière l’image du jeune châtelain, il vit un noble du royaume, la princesse Carline à son bras, devenue son épouse. Son esprit tourbillonnait. Il cherchait frénétiquement quelque chose. Il étudia l’image de l’élève de Kulgan. Derrière, il vit le reflet d’un homme qui pratiquait la magie mineure. Pug tournoyait dans sa tête, recherchant l’origine de ce reflet dans une image, de ce Pug devenu maître de la magie mineure. Puis il découvrit la source de cette image, un futur possible qui ne s’était jamais réalisé, un hasard du destin ayant écarté sa vie de cette voie. Mais dans les autres probabilités de sa vie, il découvrit ce qu’il cherchait. Il découvrit une échappatoire. Soudain il comprit. Une voie s’ouvrait à lui et son esprit s’engouffra dedans à toute vitesse.
Les yeux de Pug s’ouvrirent tout d’un coup. Il regarda pardessus l’épaule de l’inquisiteur en cagoule rouge. Meecham gémissait, à nouveau conscient, alors que Dominic restait perdu dans sa transe.
Pug se servit d’un pouvoir de son esprit qui lui permettait d’oublier les blessures faites à son corps. Immédiatement, la douleur disparut. Puis il se tendit mentalement vers la silhouette en robe noire d’Ergoran. Le Très-Puissant de l’empire manqua de tomber en arrière quand le regard de Pug se fixa sur ses yeux. Pour la première fois, un magicien de la magie supérieure usait d’un talent de magie mineure ; Pug engagea contre Ergoran une lutte d’esprit à esprit.
Pug submergea le magicien de sa puissance écrasante et le sonna instantanément. La silhouette en robe noire tituba un moment, le temps que Pug prenne le contrôle de son corps. En fermant ses propres yeux, Pug voyait maintenant par ceux d’Ergoran. Il ajusta ses sens, puis réussit à prendre le contrôle total du Très-Puissant tsurani. La main d’Ergoran se tendit en avant et un déluge d’énergie jaillit de ses doigts, frappant l’inquisiteur par-derrière. Des lignes de force rouges et violettes parcoururent le corps de l’homme qui se tordit en hurlant de douleur. Puis le bourreau se mit à danser dans la pièce comme une marionnette démente, tout agitée de spasmes et de saccades, en poussant des cris affreux.
Le seigneur de guerre resta un instant interloqué, puis hurla :
— Ergoran ! Quelle est cette folie ?
Il attrapa le mage par sa robe à l’instant où l’inquisiteur s’écrasait contre le mur à l’autre bout de la salle et s’effondrait au sol. Quand le seigneur de guerre entra en contact avec le magicien, les énergies cessèrent de crépiter autour de l’inquisiteur pour engloutir le seigneur de guerre. Axantucar se tordit en tombant à la renverse sous la violence du choc.
Le bourreau à capuche rouge se releva, secouant la tête pour s’éclaircir l’esprit, et s’approcha des captifs en titubant. Il attrapa un fin couteau sur la table, sentant confusément que Pug devait être à l’origine de ses maux. Il fit un pas en direction de Pug, mais Meecham empoigna ses chaînes et se hissa. D’un mouvement puissant, il tendit ses jambes en avant et les passa autour du cou de l’inquisiteur. Il les serra comme un étau avec une force terrible. Le bourreau tenta de se dégager, puis frappa la jambe de Meecham avec son couteau, taillant dans la chair, mais Meecham tint bon et continua à serrer. Le couteau frappa encore et encore, jusqu’à ce que les jambes de Meecham soient couvertes de son sang, mais l’inquisiteur n’arrivait pas à faire grand mal avec son petit couteau poisseux de sang. Meecham poussa juste un cri de victoire. Puis, avec un grognement, il écrasa d’une violente torsion la trachée de son adversaire. Comme l’inquisiteur s’effondrait, le chasseur sentit ses forces le quitter. Meecham se laissa retomber, seulement retenu par ses chaînes. Avec un sourire fatigué, il adressa un signe de tête à Pug.
Ce dernier dissipa son sortilège de douleur et le seigneur de guerre s’effondra aux pieds d’Ergoran. Pug commanda au magicien d’approcher. L’esprit du Très-Puissant lui faisait l’effet d’une chose douce et malléable, totalement sous son contrôle. Pug savait comment l’obliger à agir, tout en restant conscient de ce qu’il faisait lui-même.
Le Très-Puissant entreprit de libérer Pug de ses chaînes, alors que le seigneur de guerre commençait à se relever. Le magicien avait une main libre. Axantucar tituba vers la porte. Pug prit une décision. S’il arrivait à se libérer de ses liens, il pourrait se débarrasser d’autant de gardes que pourrait lui en envoyer le seigneur de guerre, mais il ne pouvait pas contrôler deux hommes à la fois et ne se sentait pas capable de garder le contrôle d’Ergoran assez longtemps pour détruire le seigneur de guerre et se libérer. Ou le pouvait-il ? Pug comprit le danger. Cette nouvelle magie s’avérait délicate et son jugement commençait à lui échapper. Pourquoi laissait-il partir le seigneur de guerre ? La douleur et la fatigue de la torture pesaient lourdement sur ses épaules et Pug se sentait faiblir un peu plus à chaque seconde. Le seigneur de guerre tira sur la porte en appelant la garde. Quand elle s’ouvrit, Axantucar s’empara d’une lance. D’un coup puissant, il frappa Ergoran en plein dans le dos. Le coup fit tomber le magicien à genoux avant que Pug n’ait les deux mains libres. Le malheureux ressentit un choc psychique terrible. Il hurla en sentant la douleur d’Ergoran et sa vie qui s’enfuyait.
Une brume passa devant ses yeux. Puis quelque chose en lui se brisa et ses pensées devinrent une mer d’éclats scintillants tandis que les miroirs de ses souvenirs éclataient : des bouts de leçons passées, des images de sa famille, des odeurs, des goûts, des sons résonnaient dans tout son être.
Des lumières dansaient dans son esprit, d’abord de petites étoiles en expansion, des reflets de nouvelles perspectives. Elles dansaient en tissant comme un motif, un cercle, un tunnel, puis une route. Il plongea dedans et découvrit un nouveau pan de conscience, avec de nouvelles voies à parcourir, de nouveaux savoirs à obtenir. La voie qui, auparavant, s’ouvrait à lui par la douleur et la terreur était là, à portée de son esprit. Il disposait enfin de tous les pouvoirs dont il avait hérité.
Sa vision s’éclaircit et il vit des soldats se bousculer dans l’escalier. Pug tourna son esprit vers sa dernière menotte. Soudain, il se souvint d’une vieille leçon de Kulgan. D’une caresse de ses pensées, la menotte de cuir durci redevint souple et douce et Pug retira sa main.
Il se concentra et les bracelets inhibiteurs de magie tombèrent, brisés. Il leva les yeux vers les marches et pour la première fois, il comprit tout l’impact de ce qu’il voyait. Le seigneur de guerre et ses soldats avaient fui la pièce. Un combat faisait rage au-dessus. Un soldat en armure bleue du clan Kanazawaï gisait mort à côté d’un garde blanc impérial. Pug libéra rapidement Meecham, l’aidant à s’allonger sur le sol. Il saignait abondamment de ses blessures à la jambe et au torse. Pug envoya à Dominic un message mental : « Revenez. » Les yeux du moine s’ouvrirent immédiatement tandis que ses menottes tombaient.
— Prenez soin de Meecham, lui demanda Pug.
Sans demander plus d’explications, Dominic alla s’occuper du chasseur blessé.
Pug monta les escaliers quatre à quatre et courut retrouver Hochopepa, toujours prisonnier.
— Que se passe-t-il ? demanda le magicien étonné lorsque son ami entra dans la cellule. J’ai entendu du bruit dehors.
Pug se pencha par-dessus l’autre mage et assouplit à l’extrême le cuir de ses menottes.
— Je l’ignore. Des alliés, je crois. Je pense que le Parti de la roue bleue tente de nous libérer.
Il dégagea les mains de Hochopepa de leurs liens. Le Très-Puissant se releva, les jambes très faibles.
— Alors, allons les aider, nous aussi, déclara-t-il d’un air résolu. (Puis il regarda ses liens et ses mains libres.) Milamber, comment as-tu fait ça ?
— Je l’ignore, Hocho, répondit Pug en franchissant le seuil de la cellule. Il faudra en discuter.
Le magicien monta les marches en courant vers l’étage au-dessus. Dans la galerie centrale du palais du seigneur de guerre, des hommes combattaient partout. Des soldats en armure de diverses couleurs luttaient contre des gardes blancs impériaux du seigneur de guerre. Fouillant des yeux le combat sans merci, Pug vit Axantucar se frayer un chemin à côté de deux soldats en plein duel. Deux gardes blancs couvraient sa retraite. Pug ferma les yeux et tendit son esprit. Ses yeux s’ouvrirent et il vit la main d’énergie invisible qu’il venait de créer et qu’il ressentait comme sienne. Il attrapa le seigneur de guerre par le cou, comme un chaton. Puis il le souleva et le ramena vers lui.
Le seigneur de guerre battait des pieds dans le vide, luttant contre son emprise. Les soldats cessèrent de se battre en voyant le seigneur de guerre suspendu en l’air. Axantucar, guerrier suprême de l’empire, couina de terreur sous la poigne de la force invisible qui lui serrait le cou.
Pug l’amena vers lui et Hochopepa. Certains gardes blancs retrouvèrent leurs esprits et se dirent que le magicien renégat devait être responsable de la mésaventure de leur maître. Plusieurs d’entre eux abandonnèrent le combat contre les soldats en armure colorée et accoururent pour porter secours au seigneur de guerre.
C’est alors qu’une voix clama :
— Ichindar ! Quatre-vingt-onze fois empereur !
Instantanément, tous les soldats présents, sans exception, s’aplatirent au sol, pressant leur front contre les dalles. Les officiers restèrent debout, la tête inclinée. Seuls Hochopepa et Pug regardèrent le cortège des chefs de guerre entrer dans la pièce, tous vêtus de l’armure des clans du Parti de la roue bleue. À leur tête, portant une armure que l’on n’avait pas vue depuis des années, s’avançait Kamatsu, à nouveau pour un temps chef de guerre du clan Kanazawaï. Ichindar, autorité suprême de l’empire, entra dans le hall, resplendissant dans son armure de cérémonie. Il s’approcha de Pug, qui maintenait toujours le seigneur de guerre dans les airs.
— Très-Puissant, vous semblez provoquer des troubles où que vous passiez, déclara finalement l’empereur. (Il leva les yeux sur le seigneur de guerre.) Si vous le descendiez, nous pourrions découvrir le fin mot de ce gâchis.
Pug lâcha le seigneur de guerre, qui heurta le sol lourdement.
— Quelle histoire stupéfiante, Milamber, confia Ichindar à Pug. (L’empereur était assis sur les coussins qu’occupait auparavant le seigneur de guerre, sirotant une tasse de son chocha personnel.) Dire que je vous crois et que tout est pardonné me simplifierait les choses, mais le déshonneur dans lequel m’ont plongé ceux que vous appelez les elfes et les nains est une chose qui ne peut être oubliée.
Autour de lui se tenaient les chefs de guerre des clans de la Roue bleue, ainsi que le magicien Elgahar.
Hochopepa prit la parole.
— Si la Lumière du Ciel m’autorise à parler. Souvenez-vous qu’ils ne furent que des outils, des pions, si vous préférez, dans un jeu de shâh. Le fait que ce Macros ait tenté d’empêcher l’Ennemi de revenir est un tout autre problème. En revanche, qu’il soit responsable de la trahison vous délie de l’obligation de vous venger de quiconque hormis de ce Macros. Mais comme il est présumé mort, la question prête à controverse.
— Hochopepa, votre langue est aussi fourchue que celle d’un relli, dit l’empereur en référence à cette sorte de serpent tsurani connue pour sa souplesse de mouvements. Je ne punirai personne sans avoir de bonnes raisons de le faire, mais j’hésite à me montrer aussi conciliant que la dernière fois envers le royaume.
— Majesté, ce ne serait pas très sage en ce moment, quoi qu’il arrive, intervint Pug. (L’intérêt d’Ichindar sembla brusquement éveillé et Pug poursuivit.) J’espère bien qu’un jour nos deux nations pourront se retrouver en amies, mais pour l’instant il est des affaires plus pressantes qui exigent notre attention. À court terme, mieux vaut faire comme si les deux mondes n’étaient pas de nouveau liés.
L’empereur se releva sur son séant.
— D’après le peu que j’ai compris de ces affaires, je crois que vous avez raison. Il va nous falloir résoudre des questions plus importantes. Je vais devoir prendre rapidement une décision qui pourrait-bien changer à jamais le cours de l’histoire tsurani. (Il retomba dans le silence et réfléchit un long moment.) Quand Kamatsu et les autres sont venus me voir pour me parler de votre retour et de vos soupçons à propos d’une créature terrifiante qui serait venue de Tsuranuanni sur votre monde, j’aurais voulu pouvoir l’ignorer. Je n’avais que faire des problèmes des gens de votre monde. La possibilité d’envahir à nouveau vos terres ne m’intéressait nullement. J’étais inquiet de reprendre une part active dans la vie tsurani, car j’avais perdu beaucoup de crédibilité devant le Grand Conseil après l’attaque sur votre monde. (Il sembla perdu un moment dans ses pensées.) Je n’ai pas pu le voir très longtemps avant la bataille, mais votre monde m’a paru bien beau. (Il soupira, ses yeux verts se fixant sur Pug.) Milamber, si Elgahar n’était pas venu au palais confirmer ce que vos alliés du Parti de la roue bleue étaient venus me dire, vous seriez probablement mort et je vous aurais suivi peu de temps après. Axantucar nous aurait plongés en pleine guerre civile. Il n’a obtenu le blanc et or que parce que la haine était dans tous les cœurs après la trahison. Vous m’avez évité la mort, sinon une catastrophe bien pire encore pour l’empire. Je pense que cela mérite une certaine considération, bien que, comme vous le savez, les troubles dans l’empire ne fassent que commencer.
— L’empire m’a assez formé pour que je comprenne que le jeu du Conseil va devenir encore plus cruel.
Ichindar regarda par la fenêtre où le corps d’Axantucar se balançait dans le vent.
— Il va falloir que je consulte les historiens, mais je crois bien que ce seigneur de guerre est le premier à être pendu par un empereur. (La pendaison était la honte suprême pour un guerrier.) Mais comme je ne doute pas qu’il avait prévu pour moi le même type de fin, je ne pense pas qu’il y aura une rébellion, en tout cas, pas cette semaine.
Les chefs de guerre du Grand Conseil qui se trouvaient là s’entre-regardèrent. Finalement, Kamatsu prit la parole :
— Lumière du Ciel, si vous le permettez. Le Parti de la guerre se retire en désordre. La trahison du seigneur de guerre leur a fait perdre toute base de négociations au sein du Grand Conseil. Au moment même où nous parlons, le Parti de la guerre n’est plus, et ses clans et ses familles se retrouveront pour discuter quels partis ils rejoindront afin de récupérer un minimum d’influence. Pour l’instant, ce sont les modérés qui dirigent.
L’empereur secoua la tête.
— Non, honorable seigneur, vous êtes dans l’erreur, déclara-t-il d’une voix étonnamment forte. En Tsuranuanni, c’est moi qui dirige. (Il se leva, observant les seigneurs assemblés autour de lui.) Tant que ces affaires dont nous a prévenus Milamber ne seront pas résolues et tant que l’empire ne sera pas réellement hors de danger ou tant que l’on n’aura pas prouvé que cette menace n’avait aucun fondement, le Grand Conseil est suspendu. Il n’y aura pas de nouveau seigneur de guerre tant que je n’en aurai pas demandé l’élection au sein du Conseil. Jusqu’à ce que j’en décide autrement, je suis la loi.
— Majesté, et l’Assemblée ? demanda Hochopepa.
— Elle conserve son statut, mais prenez garde, Très-Puissant, faites attention à vos frères. Si jamais une autre Robe Noire est impliquée dans un complot contre ma maison, le statut de Très-Puissant au-dessus des lois ne sera plus. Même si je dois lancer toutes les armées de l’empire contre votre puissance magique, même si l’empire doit être ruiné, je ne permettrai plus que l’on défie la suprématie de l’empereur. Est-ce bien compris ?
— Ce sera fait, Votre Impériale Majesté. La renonciation d’Elgahar et les actes de son frère et du seigneur de guerre vont donner de quoi réfléchir aux autres membres de l’Assemblée. Je présenterai ce cas devant mes confrères.
— Très-Puissant, ajouta Ichindar à l’attention de Pug, je ne puis obliger l’Assemblée à vous réintégrer dans ses rangs et je ne suis pas non plus tout à fait tranquille de vous savoir de nouveau parmi nous. Mais tant que ces affaires ne seront pas réglées, vous serez libre d’aller et venir comme vous le désirerez. Quand vous repartirez pour votre monde natal, informez-nous de vos découvertes. Nous serons prêts à vous aider quelque peu pour éviter la destruction de votre monde, si nous le pouvons. Maintenant, ajouta-t-il en se levant et en se dirigeant vers la porte, il faut que je regagne mon palais. J’ai un empire à reconstruire.
Pug regarda les autres sortir. Kamatsu vint le trouver :
— Très-Puissant, il semblerait que, pour l’instant, les choses se finissent bien.
— Pour l’instant, mon vieil ami. Aidez de votre mieux la Lumière du Ciel car sa vie pourrait être singulièrement écourtée quand les décrets de cette nuit seront rendus publics demain.
Le seigneur des Shinzawaï s’inclina.
— À vos ordres, Très-Puissant.
Pug se tourna vers Hochopepa.
— Allons chercher Dominic et Meecham là où ils se reposent puis partons pour l’Assemblée, Hocho. Nous avons du travail.
— Un petit moment, j’ai une question à poser à Elgahar. (Le gros magicien fit face à l’ancien fidèle du seigneur de guerre.) Pourquoi ce revirement soudain ? J’avais toujours cru que vous n’étiez que l’instrument de votre frère.
— La menace qui s’attaque au monde de Milamber et contre laquelle il nous a mis en garde m’a donné à réfléchir. J’ai passé un certain temps à envisager les différentes possibilités et quand j’ai proposé à Milamber la réponse qui me semblait évidente, il a abondé dans mon sens. Face à cela, tout le reste n’a aucune importance.
Hochopepa se tourna de nouveau vers Pug.
— Je ne comprends pas. De quoi parle-t-il ?
Pug titubait de fatigue et d’autre chose, d’une terreur profonde qui commençait à resurgir en lui.
— J’hésite même à en parler. (Il regarda les gens qui se trouvaient autour de lui.) Elgahar en est venu lui-même à la conclusion que je soupçonnais, mais que j’avais peur de formuler.
Il resta silencieux un moment et tout le monde dans la pièce sembla retenir son souffle. Puis il annonça :
— L’Ennemi est de retour.
Pug repoussa le gros livre à couverture de cuir devant lui.
— Encore une impasse.
Il se passa une main sur le visage et ferma ses yeux fatigués. Il avait eu tant de choses à faire et l’impression constante que le temps lui échappait. Il avait gardé pour lui la découverte de ses pouvoirs en magie mineure. C’était une facette de lui-même qu’il n’avait jamais soupçonnée jusque-là et il désirait pouvoir explorer cette révélation en privé.
Hochopepa et Elgahar levèrent les yeux de leur lecture. Elgahar avait travaillé aussi dur que les autres, montrant combien il voulait s’amender.
— Ces chroniques sont dans un état déplorable, Milamber.
Pug opina.
— Il y a deux ans, j’ai dit à Hocho que l’Assemblée était devenue trop laxiste dans son arrogance. Cette confusion n’en est qu’un exemple parmi d’autres.
Pug rajusta sa robe noire. Quand on avait fait connaître les raisons de son retour, il avait été réhabilité sans hésitation grâce à une motion déposée par ses vieux amis et appuyée par Elgahar. De tous les membres présents, seuls quelques-uns s’étaient abstenus et personne n’avait voté contre. Tous étaient passés par la tour de l’Épreuve et avaient pu voir la rage et la puissance de l’Ennemi.
Shimone, l’un des plus vieux amis de Pug au sein de l’Assemblée et aussi son ancien instructeur, entra en compagnie de Dominic. Après sa confrontation avec l’inquisiteur du seigneur de guerre la nuit précédente, le prêtre avait fait preuve d’une capacité de récupération remarquable. Il avait usé de ses pouvoirs de soins sur Meecham et sur Pug, mais quelque chose l’empêchait de les utiliser sur lui-même. Toutefois, il avait pu apprendre aux mages de l’Assemblée à préparer une décoction d’herbes qui évitait à ses coupures et à ses brûlures de s’infecter.
— Milamber, votre prêtre fait des merveilles. Il dispose de moyens fabuleux pour répertorier nos ouvrages.
— Je n’ai fait que vous enseigner ce que nous avons appris à Sarth, répliqua Dominic. Une grande confusion règne ici, mais ce n’est pas aussi terrible qu’on peut le penser au premier abord.
Hochopepa s’étira.
— Ce qui m’inquiète en fait, c’est qu’il y ait si peu de choses ici que nous ne connaissions déjà. C’est comme si la vision que nous avons tous eue sur la tour était le premier souvenir que nous ayons de l’Ennemi et que personne n’en ait jamais enregistré d’autre.
— C’est peut-être vrai, intervint Pug. Souviens-toi que la plupart des véritables grands magiciens ont péri sur le Pont d’or, ne laissant derrière eux que des apprentis et des adeptes de la magie mineure. Il est possible que des années se soient écoulées avant que l’on ne commence à tenir des chroniques.
Meecham entra, les bras chargés d’une énorme pile d’antiques volumes soigneusement reliés de cuir. Pug désigna le sol à côté de lui et le chasseur les y déposa. Pug s’attaqua à la pile et tendit un livre à chacun. Elgahar ouvrit son volume avec précaution, faisant craquer la couverture.
— Par tous les dieux de Tsuranuanni, ces livres sont si vieux.
— Ce sont parmi les plus anciens de l’Assemblée, précisa Dominic. Il nous a fallu à Meecham et à moi plus d’une heure rien que pour savoir où ils étaient et une de plus pour les sortir de leur poussière.
— C’est presque une autre langue, tellement c’est vieux, fit remarquer Shimone. Il y a des usages de verbes et des tournures dont je n’avais même jamais entendu parler.
— Milamber, écoute ça ! s’exclama Hocho. « Et quand le pont disparut, Avari insistait encore pour que l’on tînt conseil. »
— Le Pont d’or ? demanda Elgahar.
Pug et les autres s’arrêtèrent dans leur tâche et écoutèrent Hochopepa poursuivre sa lecture :
— « Des Alstwanabi, il n’en restait que treize, parmi lesquels Avari, Marlee, Caron... — la liste continue... — et bien peu avaient l’esprit tranquille, mais Marlee usa de ses mots de pouvoir et apaisa leurs peurs. Nous sommes sur ce monde que Chakakan a fait pour nous – ce pourrait être une ancienne forme de Chochocan ? — et nous nous perpétuerons. Les Veilleurs disent que nous sommes à l’abri de la Ténèbre. » La Ténèbre ? Ce serait cela ?
Pug relut le passage.
— C’est le même nom que Rogen a employé après sa vision. Ça va trop loin pour une simple coïncidence. La voilà, notre preuve : l’Ennemi est impliqué d’une manière ou d’une autre dans les attentats contre le prince Arutha.
— Il y a un autre élément important là, intervint Dominic.
— Oui, acquiesça Elgahar. Qui sont « les Veilleurs » ?
Pug repoussa le livre, la journée pesant lourdement sur ses yeux fatigués. De ceux qui avaient fait des recherches avec lui, seul Dominic était encore là. Le moine d’Ishap semblait totalement immunisé contre la fatigue.
Pug ferma les yeux, simplement pour les reposer un peu. Son esprit était agité de multiples préoccupations et il avait dû laisser de nombreux problèmes de côté. Maintenant, des images défilaient devant ses yeux, mais aucune ne semblait vouloir se fixer.
Pug tomba rapidement endormi et rêva.
Il se trouvait de nouveau sur les toits de l’Assemblée. Il portait le gris des apprentis et Shimone lui montrait les marches de la tour. Il savait qu’il devait monter, pour lutter à nouveau contre la tempête, subir de nouveau l’épreuve qui devait lui valoir finalement le rang de Très-Puissant.
Il monta et grimpa dans son rêve, découvrant à chaque pas de nouveaux horizons, une série d’images qui se succédaient à toute vitesse. Un gros oiseau creva la surface de l’eau pour pêcher un poisson, ses ailes écarlates contrastant fortement avec le bleu du ciel et de l’eau. Puis d’autres images lui parvinrent, des jungles chaudes où travaillaient des esclaves, les Thûn qui couraient sur la toundra au nord, une jeune femme séduisant un garde de la maison de son mari, un marchand d’épices au marché. Puis sa vision alla vers le nord et il vit...
Des champs de glace, terriblement froids, balayés par un vent coupant comme un rasoir. Il sentait là l’amertume des âges lointains. D’une tour de neige et de glace émergèrent des silhouettes emmitouflées contre le vent. Anthropomorphes, elles marchaient d’un pas souple, inhumain. Ces êtres vieux et sages connaissaient des choses que les hommes ignoraient et ils cherchaient un signe dans le ciel. Ils levèrent les yeux et veillèrent longtemps. Ils veillent. Les Veilleurs.
Pug se leva, les yeux ouverts.
— Qu’y a-t-il, Pug ? demanda Dominic.
— Allez chercher les autres. Je sais.
Pug se tenait face aux autres, sa robe noire flottant dans le vent du matin.
— Tu refuses que quiconque vienne avec toi ? insista Hochopepa.
— En effet, Hocho. Tu m’aideras plus en ramenant Dominic et Meecham sur mes terres de manière qu’ils puissent rentrer sur Midkemia. J’ai transmis tout ce que j’avais appris ici à Kulgan et aux autres et j’ai laissé des messages pour tous ceux qui ont besoin de connaître ce que nous avons découvert. Il se peut que ce ne soit qu’une chimère, ces Veilleurs dans le Nord sont peut-être introuvables. Tu m’aideras mieux en ramenant mes amis.
Elgahar s’avança.
— Si vous m’y autorisez, j’aimerais accompagner vos amis sur votre monde.
— Pourquoi ? demanda Pug.
— L’Assemblée n’a que faire d’un homme impliqué dans les intrigues du seigneur de guerre et, d’après ce que vous avez dit, il y a dans votre académie des Très-Puissants qui ont besoin d’un enseignement. Considérez cela comme un geste d’apaisement. Je resterai là-bas au moins pour un petit moment et je pourvoirai à l’éducation des apprentis.
Pug réfléchit.
— Très bien. Kulgan vous expliquera ce qu’il faut faire. Souvenez-vous bien que le rang de Très-Puissant ne signifie rien sur Midkemia. Vous ne serez qu’un membre au sein d’une communauté. Cela risque d’être difficile.
— J’essayerai, promit Elgahar.
— C’est une idée excellente, commenta Hochopepa. Longtemps, je me suis demandé comment était cette terre barbare d’où tu viens et je crois qu’une petite séparation d’avec mon épouse me ferait le plus grand bien. Je vais y aller, moi aussi.
— Hocho, protesta Pug en riant, l’académie est située sur une terre peu hospitalière, il n’y a rien là-bas du confort auquel tu es habitué.
Le Très-Puissant s’avança.
— Ne t’inquiète pas, Milamber. Tu auras besoin d’alliés sur ton monde. Si mon ton est léger, n’oublie pas que tes amis auront bientôt besoin d’aide. L’Ennemi est au-delà de tout ce que nous connaissons. C’est maintenant que nous allons commencer le combat. Quant à l’inconfort, je me débrouillerai.
— De plus, ajouta Pug, tu te pourlèches à l’idée de la bibliothèque de Macros depuis que je t’en ai parlé.
Meecham secoua la tête.
— Lui et Kulgan. Deux ours et un pot de miel.
— Qu’est-ce que c’est, un ours ?
— Tu le sauras bientôt, mon vieil ami. (Pug serra Hocho et Shimone dans ses bras, donna une poignée de main à Meecham et à Dominic et s’inclina devant les autres membres de l’Assemblée.) Suivez les instructions permettant d’activer la faille telles que je les ai écrites. Et prenez bien soin de la refermer dès que vous serez passés : L’Ennemi cherche peut-être encore une faille pour entrer sur nos mondes.
« Je vais sur les terres des Shinzawaï, le motif de transport le plus au nord. De là, je prendrai un cheval et je traverserai la toundra des Thûn. Si les Veilleurs existent encore, je les trouverai et je reviendrai sur Midkemia avec les renseignements qu’ils auront pu me donner sur l’Ennemi. Alors, nous nous retrouverons. Jusque-là, mes amis, prenez soin de vous.
Pug prononça son sortilège et disparut dans un scintillement.
Les autres restèrent là un moment.
— Venez, nous devons nous préparer, finit par dire Hochopepa. (Il regarda Dominic, Meecham et Elgahar.) Venez, mes amis.